Massivement déployé face à la contagion galopante de covid-19, le télétravail a longtemps été plébiscité à ses débuts, mais les salariés en voient davantage les limites aujourd’hui. Mais s’agit-il du télétravail en tant que tel, ou de son organisation actuelle parfois inadaptée ?

Le télétravail consiste à travailler à distance, c'est-à-dire en dehors des locaux de l’entreprise. Le plus souvent, les employés travaillent depuis leur domicile, mais il est aussi possible de se regrouper dans des espaces de coworking par exemple. Si le télétravail offre a priori un meilleur confort de vie grâce à sa flexibilité, il entraîne néanmoins des critiques, par exemple sur le manque d’interactions sociales ou sur la confusion entre vie professionnelle et vie privée.

Chez les Européens, un télétravail moins idéalisé

L’assureur Allianz Trade a réalisé une étude auprès de plus de 1000 salariés en télétravail, en France, en Italie et en Allemagne. L’envie de télétravailler chute globalement, notamment outre-Rhin où seuls 20% des employés manifestent le souhait de passer en télétravail, contre 25% l’année précédente. En Italie, la baisse est moins notable, mais bien présente, de 16 à 15%.

La France, elle, fait figure d’exception, avec un léger regain d’intérêt : de 10 à 12%. La proportion globale demeure néanmoins plus faible que dans les pays voisins, ce qui peut expliquer cette différence.

Allianz Trade analyse cette plus faible adhésion au télétravail par les “deux années d’expérience de télétravail [qui] ont aiguisé la prise de conscience des individus”. Effectivement, les avantages de cette nouvelle organisation du travail ont été immédiatement manifestes pour les employés : suppression des déplacements professionnels, meilleure gestion du temps, plus grande autonomie…

Les inconvénients ont, eux, mis plus de temps à se manifester : désormais, “la proportion de répondants citant les limites [du télétravail] a doublé”, spécifie Allianz Trade. Les inconvénients principalement cités sont notamment le manque d’interaction sociale (28%) et la difficulté à distinguer vie personnelle et professionnelle (18%).

Les réalités contrastées du télétravail amènent donc à relativiser l’idéalisation pour prendre conscience des limites. Pour autant, le télétravail pourrait bien constituer une rupture structurelle dans l’organisation et la façon de penser le travail aujourd’hui.

Des chiffres à relativiser : la Grande Démission

Baptisée “The Great Resignation” dans son pays d’origine, les Etats-Unis, la Grande Démission est un phénomène récent et largement commenté sur les réseaux sociaux. Malgré son caractère de “buzz”, la tendance s’observe scientifiquement : en 2021, plus de 47 millions d’Américains ont déposé leur démission, un chiffre jamais atteint auparavant.

Les causes de ce phénomène sont multiples et très discutées dans la communauté scientifique. Des causes conjoncturelles l’ont accéléré (la pandémie notamment), mais des raisons structurelles expliqueraient cette tendance de masse.

C’est ce qu’a analysé le cabinet d’étude McKinsey dans une étude où il renomme la “Great Resignation” en “Great Renegotiation”. Pour le dire simplement : les employés, conscients de leurs capacités et de leurs talents, considèrent toutes leurs options. Certains peuvent par exemple être à la recherche d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, d’autres souhaitent lancer leur propre activité. En bref, des éléments autres que le travail viennent peser dans la balance.

Et c’est notamment le cas du télétravail. Une autre étude, menée cette fois par le cabinet BCG, révèle que plus d’un salarié français sur trois occupant un emploi non télétravaillable envisage de le quitter dans les 6 mois.

L’envie de télétravail est donc toujours bien présente. La question, désormais, est de répondre aux limites soulevées par les employés qui en ont fait l’expérience.

Comment rendre le télétravail motivant en 3 étapes ?

1. Favoriser les interactions sociales

Le manque d’interaction sociale est la première limite soulevée par les télétravailleurs, et la pandémie a en effet démontré une augmentation de l’isolement social, du fait du confinement, mais aussi du télétravail.

Toutefois, il est nécessaire de le replacer dans son contexte, c’est à dire celui de la maladie. Car le but de ces mesures - télétravail compris - était de limiter au maximum les contacts sociaux afin d’endiguer la propagation. De fait, l’isolement social allait forcément devenir un sujet.

Est-ce pour autant à dire que le télétravail entraîne forcément un manque d’interactions sociales ? Pas forcément. Faisons le parallèle, sans prendre position, avec “l’école à la maison”. Bien que les enfants ne soient pas dans le lieu d’éducation (l’école), les contacts sociaux sont tout de même favorisés, notamment au travers d’activités organisées par des associations avec d’autres parents et enfants dans la même situation.

La comparaison avec le télétravail se tient : si certes les collaborateurs de l’entreprise ne sont pas sur leur lieu de travail (les locaux de l’entreprise), cela n’empêche pas de favoriser les interactions.

C’est donc une organisation spécifique de ce mode de travail à laquelle il faut songer : l’entreprise ou ses services peuvent par exemple prévoir des moments entre collègues, des évènements et activités, ce qui n’était pas possible lorsque la pandémie était à son plus haut niveau.

Il faut aussi faire appel à la technologie : même si elle présente des limites, elle permet par exemple d’aménager des pauses en visio ou du team-building à distance. Un concept récent, boosté lors de la crise sanitaire et qui semble bien plaire aux participants.

2. Être transparent sur la distinction vie privée / vie professionnelle

Pour une majorité de salariés, le travail au sein des locaux de l’entreprise a l’avantage d’établir une distinction claire entre ce qui relève du professionnel et ce qui est de l’ordre du privé. Bien sûr, il ne s’agit pas que l’environnement de travail soit tout l’un ou tout l’autre : des moments de pause permettent à des collègues de partager des histoires personnelles par exemple. Néanmoins, la priorité est clairement fixée : c’est le travail.

Avec le télétravail, la situation est moins claire, déjà pour une question de lieu. Même si un espace spécifique est aménagé pour le travail, l’employé est, de fait, à son domicile, dans son lieu de vie privé.

A cette première confusion de lieu peut s’ajouter une deuxième confusion de temps. En entreprise, les horaires sont souvent clairement définis, alors qu’il y a davantage de flexibilité avec le télétravail. Au sein d’un court intervalle de temps, un collaborateur peut donc se retrouver à effectuer des tâches domestiques et des missions professionnelles.

Enfin, il faut y ajouter l’impact de l’outil technologique. Les visioconférences, SMS, mails et autres moyens de contact à distance peuvent venir empiéter sur la vie personnelle des employés.

Pour l’entreprise, il est donc nécessaire d’adopter une politique claire sur les horaires et les temps hors du travail. L’entreprise peut s’inspirer du droit à la déconnexion pour les salariés, soit le droit de ne pas se connecter aux outils numériques de l’entreprise hors horaires professionnels, afin de mieux concilier vies personnelle et professionnelle. Une déclinaison peut être par exemple que les managers ne doivent pas contacter les employés sous leur responsabilité en-dehors de leurs heures.

3. Contribuer à aménager un espace de travail adapté

Quand les employés se rendent au sein des locaux de l’entreprise, ils disposent de tout le matériel nécessaire pour travailler : une chaise, un bureau, un ordinateur, la connexion Internet, etc.

Cependant, rien n’est moins sûr dans le cadre du télétravail ! Cela dépend en effet des télétravailleurs et de leur domicile directement. Or, les employés n’ont pas forcément toujours un bureau dédié, ni une pièce assez grande, ni le matériel adéquat.

Et il faut également prendre l’environnement de travail en compte. Des voisins ou des travaux bruyants, les enfants à la maison, etc. : voilà autant de perturbations qui, forcément, dégradent la qualité de vie et le bien-être du collaborateur. Et par extension, son travail.

L’employeur ne peut certes pas intervenir sur tous les aspects : il lui serait par exemple difficile de faire annuler des travaux dans une rue adjacente. L’entreprise a néanmoins plusieurs solutions : par exemple, accorder un forfait journalier pour pouvoir se rendre dans un espace de coworking.

L’employeur peut aussi grandement contribuer à l’aménagement de l’espace de travail à domicile : il peut s’agir de donner une enveloppe à chaque employé afin d’investir dans du mobilier ergonomique (chaise ergonomique, bureau assis debout, etc.). Non-seulement l’entreprise a tout intérêt à investir dans du mobilier ergonomique, mais elle ou ses salariés peuvent aussi potentiellement obtenir des financements en ce sens.

Angela Kunder